« Nous avons presque 100 ans de réserves de gaz naturel (avec la fracturation hydraulique) et mon administration va faire tout ce qui est possible pour développer cette énergie. On n’a pas besoin de choisir entre notre environnement et notre économie. »

Président Obama fin janvier 2012

humanite-croissance-mortelle-87d3eNous sommes à quelques encablures du Sommet de Rio avec plus que jamais une anomie totale, du fait que les pays industrialisés mais aussi les pays émergents font une course de plus en plus rapide vers l’abîme de la croissance débridée, entraînant dans leur chute les 4/5 de la planète qui ne sont pour rien dans l’affolement des indicateurs de la vie au sens large.

Où en sommes-nous depuis Rio et les promesses sans lendemain ?

Depuis Rio, en vingt ans, la population mondiale a augmenté de 26%, 12% de la biodiversité totale a disparu, les émissions de CO2 ont augmenté de 36%, 300 millions d’hectares de forêts ont disparu, il existe 21 mégavilles tentaculaires, la température globale a augmenté de 0,4°C, la production de plastique a augmenté de 130%, l’acidité des océans a fortement accéléré menaçant la vie marine qui est la source de toute vie terrestre.

Selon un document présenté par trois groupes de recherche sur le climat à Bonn, les émissions de gaz à effet de serre en 2020, pourraient excéder de neuf milliards de tonnes la limite fixée pour contenir le réchauffement de la planète. Pour rester en-deçà de ce plafond, les émissions de gaz à effet de serre ne devraient pas dépasser les 44 milliards de tonnes en 2020. Or, selon les chiffres de l’Agence internationale de l’énergie, en 2011, les émissions mondiales ont augmenté de 3,2% pour atteindre 31,6 milliards. A elle seule, la Chine connaît une hausse de 9,3% de ses émissions. Ce qui la ramène à cinq fois moins de consommation que les Américains par tête d’habitant même avec les efforts déployés par les Etats-Unis qui ont vu leurs émissions respectivement baisser de 1,7 en 2011. Alors que les experts ont fixé la limite du réchauffement de la planète à 2°C, au rythme actuel, ce réchauffement devrait dépasser les 3,5°C. Cela pourrait même être pire si les objectifs de 2020 ne sont pas respectés.

Sur le site Attac qui fait un constat d’échec de la politique climatique mondiale, nous lisons : « Entamées suite à la conférence de Rio de 1992, les négociations internationales sur le climat sont dans l’impasse. Il y a tout juste deux ans se tenait le sommet de « la dernière chance » à Copenhague. Depuis, un nouveau record d’émissions de gaz à effets de serre est battu quasiment chaque année : 6% en 2010. Certes le climat est bien considéré comme « un des plus grands défis de notre temps » et sont reconnus ses « effets négatifs (…), y compris les événements climatiques extrêmes, les sécheresses, la montée du niveau des mers, l’érosion des côtes et l’acidification des océans », le tout « compromettant gravement la sécurité alimentaire, les efforts pour éradiquer la pauvreté et parvenir à un développement soutenable, menaçant l’intégrité territoriale, la viabilité et l’existence même de petits Etats insulaires ».

Mais face à ces constats partagés, aucune mesure ou objectif contraignant n’est en vue. Pour Attac France, cette « économie verte », largement décrite dans de nombreux rapports d’institutions internationales, transcrit la volonté de soumettre tous les cycles vitaux de la vie aux règles du marché et à la domination de la technologie. Pour sortir de l’alternative suicidaire austérité ou croissance, une transition écologique est urgente, notamment en matière énergétique. Créatrice d’emplois et ouvrant les possibilités d’un avenir commun entre les peuples du monde, elle pourrait faire de l’Europe un continent moteur pour ces transformations. La nature est un bien commun, pas une marchandise. Non à leur économie verte ! » (1)

Un exemple de course vers l’abîme

Justement, l’un des avatars de la croissance débridée est le rejet en mer de plus de 5 millions de tonnes chaque année. Ces déchets plastiques se concentrent dans une région océanique grande comme six fois la France, cette zone concentre six fois plus de déchets plastiques que de plancton…Nous sommes aujourd’hui familiarisés avec le concept de réchauffement climatique et ses effets : fonte de la banquise, élévation du niveau de la mer… Mais encore trop peu
de personnes ont entendu parler des îles plastiques, ces déchets de toute sorte rassemblés par les courants océaniques dans certaines zones des océans du globe plus ou moins définies. Les prélèvements effectués dans ces zones sont sans appel : le plastique y est désormais six fois plus présent que le plancton. D’après le Programme environnemental des Nations unies, ces débris causeraient déjà la mort de plus d’un million d’oiseaux marins chaque année, ainsi que celle de plus de 100.000 mammifères marins. Découverte en 1997, elle est si grande (3,43 millions de kilomètres carrés soit un tiers de l’Europe) que cette zone est communément appelée le 7e continent ou le Great Pacific Garbage Patch. Les océans recouvrent les 2/3 de notre planète, ils abritent en effet d’immenses prairies. Ces prairies de plancton et d’autres micro-organismes constituent, par leur activité photosynthétique, une immense pompe à oxygène. Ils absorbent ainsi plus de la moitié du CO2 produit sur Terre.

Croissance et débâcle planétaire : l’Humanité court à sa perte

Interviewé par Terra eco, Dennis Meadows professeur au MIT, l’un des auteurs principaux du Rapport du club de Rome en 1972 : « Les limites de la croissance », revient sur la pertinence de projections vieilles de quarante ans et commente la crise de la zone euro, la raréfaction des ressources et le changement climatique, premiers symptômes, selon lui, d’un effondrement du système. La croissance perpétuelle est-elle possible dans un monde fini ? la croissance infinie dans un monde aux ressources limitées est impossible. Aussi, si les hommes ne mettent pas fin à leur quête de croissance eux-mêmes, la nature le fera-t-elle pour eux, sans prendre de gants.
« A l’époque, déclare Meadows, on disait qu’on avait encore devant nous quarante ans de croissance globale. Nous disions aussi que si nous ne changions rien, le système allait s’effondrer. C’est aujourd’hui que nous entrons dans cette période d’arrêt de la croissance. Tous les signes le montrent. Le changement climatique, la dislocation de la zone euro, la pénurie d’essence, les problèmes alimentaires sont les symptômes d’un système qui s’arrête. (…) » (2)

Dennis Meadows propose six pistes qu’il intitule la résilience qu’il définit ainsi : « La résilience est un moyen de construire le système pour que, lorsque les chocs arrivent, vous puissiez continuer à fonctionner, vous ne vous effondriez pas complètement. J’ai déjà pensé à six manières d’améliorer la résilience. La première est de construire « des tampons ». Par exemple, vous faites un stock de nourriture dans votre cave. En cas de pénurie de nourriture, vous pouvez tenir plusieurs semaines. A l’échelle d’un pays, c’est par exemple l’Autriche qui construit de plus gros réservoirs au cas où la Russie fermerait l’approvisionnement en gaz. Deuxième chose : l’efficacité. Vous obtenez plus avec moins d’énergie, c’est ce qui se passe avec une voiture hybride par exemple… En termes de quantité de bonheur par gallon d’essence dépensé, c’est plus efficace. Troisième chose : ériger des barrières pour protéger des chocs. Quatrième outil : le « réseautage » qui vous rend moins dépendant des marchés. Il y a aussi la surveillance qui permet d’avoir une meilleure information sur ce qui se passe. Enfin, la redondance qui consiste à élaborer deux systèmes pour remplir la même fonction. Ces six méthodes accroissent la résilience. Mais la résilience coûte de l’argent et ne donne pas de résultats immédiats. C’est pour cela que nous ne le faisons pas. » (2)

« Je pense, poursuit-il, que nous allons voir plus de changement, dans les vingt ans à venir que dans les cent dernières années. Il y aura des changements sociaux, économiques et politiques. (…) Il faut changer notre manière de mesurer les valeurs. Il faut par exemple distinguer la croissance physique et de la croissance non physique, c’est-à-dire la croissance quantitative et la croissance qualitative. Quand vous avez un enfant, vous vous réjouissez, au départ, qu’il grandisse et se développe physiquement. Mais si à l’âge de 18 ou 20 ans il continuait à grandir, vous vous inquiéteriez et vous le cacheriez. Quand sa croissance physique est terminée, vous voulez en fait de la croissance qualitative. Vous voulez qu’il se développe intellectuellement, culturellement. Malheureusement, les hommes politiques n’agissent pas comme s’ils comprenaient la différence entre croissance quantitative et qualitative, celle qui passerait par l’amélioration du système éducatif, la création de meilleurs médias, de clubs pour que les gens se rencontrent… Ils poussent automatiquement le bouton de la croissance quantitative. C’est pourtant un mythe de croire que celle-ci va résoudre le problème de la zone euro, de la pauvreté, de l’environnement… La croissance physique ne fait aucune de ces choses-là. »(2)

« Les politiques sont accros à la croissance. La croissance, les pesticides, les énergies fossiles, l’énergie bon marché, nous sommes accros à tout cela. Pourtant, nous savons que c’est mauvais, et la plupart des hommes politiques aussi. Je pense que les politiciens sont un peu comme ça. Ils ne pensent pas vraiment que cette chose appelée croissance va résoudre le problème mais ils croient que le reste des gens le pensent. Les Japonais ont un dicton qui dit : « Si votre seul outil est un marteau, tout ressemble à un clou. La plupart des problèmes, nous ne les résolvons pas. En revanche, le problème se résoudra de lui-même parce que vous ne pouvez pas avoir une croissance physique infinie sur une planète finie. Donc la croissance va s’arrêter. Les crises et les catastrophes sont des moyens pour la nature de stopper la croissance. Nous aurions pu l’arrêter avant, nous ne l’avons pas fait donc la nature va s’en charger. Le changement climatique est un bon moyen de stopper la croissance. La rareté des ressources est un autre bon moyen. La pénurie de nourriture aussi. » (2)

« L’humanité obéit à une loi fondamentale : si les gens doivent choisir entre l’ordre et la liberté, ils choisissent l’ordre. C’est un fait qui n’arrête pas de se répéter dans l’histoire. L’Europe entre dans une période de désordre qui va mécontenter certaines personnes. Et vous allez avoir des gens qui vont vous dire : « Je peux garantir l’ordre, si vous me donnez le pouvoir. » L’extrémisme est une solution de court terme aux problèmes. Un des grands présidents des Etats-Unis a dit : « Le prix de la liberté est
la vigilance éternelle. » Si on ne fait pas attention, si on prend la liberté pour acquise, on la perd. » (2)

Pierre Rabhi ne dit pas autre chose quand il écrit : « Le progrès ne libère pas. (…) Il faut que l’humanité se pose la question : le progrès, pour quoi faire ? Et avant : qu’est-ce que vivre ? S’il s’agit juste de consommer, je n’appelle pas ça la vie, cela n’a aucun intérêt. Nous sommes devenus des brigades de pousseurs de caddies. Cela me terrifie. Nous sommes revenus au néolithique : nous sommes des cueilleurs, nous passons dans les rayons et nous cueillons. Tout cela n’est pas bon. On a évoqué la décroissance, qui est considérée comme une infamie dans le monde d’aujourd’hui : remettre en cause la croissance ! Au Moyen âge, j’aurai été brûlé vif. Le progrès technologique ne rétablit pas de l’équité dans le monde, au contraire. Une minorité en bénéficie. Ce ne sont pas les pays en voie de développement qui consomment le plus de voitures ou de frigos. C’est un leurre de dire que la planète ne pourra pas suffire, parce que nous serons plus nombreux. C’est une injustice totale : sur 7 milliards d’humains aujourd’hui, la moitié n’a pas accès à la nourriture pendant que les autres se bâfrent et gaspillent à outrance. Un cinquième de l’humanité consomme les 4/5e des ressources produites. Ce serait très pernicieux d’invoquer la démographie pour dire qu’on ne va pas s’en sortir. Non ! Plusieurs milliards d’humains ne s’en sortent déjà pas. Ce ne sont pas les pauvres qui épuisent les ressources. La démographie n’est pas en cause. Je sens cet argument s’insinuer de façon vicieuse. Aujourd’hui, les jeunes ne savent pas quelle place ils auront et s’ils auront une place dans l’avenir. »(3)

Que faut-il retenir ?

En 1972, nous étions en dessous de la capacité maximum de la Terre à supporter nos activités, à 85% environ. Aujourd’hui, nous sommes à 150%. Quand vous êtes en dessous du seuil critique, c’est une chose de stopper les choses. Quand vous êtes au-delà, c’en est une autre de revenir en arrière. Donc oui, la nature va corriger les choses. Je pense que nous allons voir plus de changement dans les vingt ans à venir que dans les cent dernières années. Il y aura des changements sociaux, économiques et politiques. La situation est confirmée par la formule du Smithsonian Magazine, « The world is on track for disaster… », autrement dit, « tout se déroule comme prévu pour que survienne le désastre ». Ce désastre, comme le résume le physicien australien Graham Turner, qui a succédé à Dennis Meadows comme rédacteur coordonnateur, déroulera du fait que, si l’humanité continue à consommer plus que la nature ne peut produire, un effondrement économique se traduisant pas une baisse massive de la population se produira aux alentours de 2030.

Mieux vaut tard que jamais les Instututions internationales du « Marché » se réveillent : « Le modèle de développement actuel s’avère inefficace et non viable, pas seulement pour l’environnement, mais aussi pour les économies et les sociétés », a déclaré le Directeur général du BIT, Juan Somavia. Nous devons de toute urgence nous orienter vers le développement durable avec un ensemble cohérent de politiques qui placent l’homme et la planète au centre ».

En espérant que l’économie verte ne soit pas un nouveau créneau pour le libéralisme sauvage et les requins de la finance et si la nature n’est pas une marchandise, ce sera alors l’avènement du BIB (Bonheur Intérieur Brut) au lieu du PIB (Produit Intérieur Brut) qui a amené l’humanité à sa perte en déifiant la croissance et le marché.

1.http://www.france.attac.org/livres/…

2. « Nous n’avons pas mis fin à la croissance, la nature va s’en charger » Dennis Meadows Terra eco mai 2012

3. Pierre Rabhi : « Si nous nous accrochons à notre modèle de société, c’est le dépôt de bilan planétaire » Agnès Rousseaux, Ivan du Roy

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique enp-edu.dz