Deux articles publiés par NESTA sur agoravox

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Nicolas Sarkozy a demandé à deux prix Nobel d’économie de réfléchir sur de nouveaux indicateurs de richesse. Le plus connu, le PIB, serait devenu obsolète et incomplet. La science économique a mis en perspective différentes approches de la richesse et du bien-être. Deux écoles s’affrontent, deux visions du monde s’opposent… Voici la première présentée.

L’économie ne peut être considérée comme une science exacte, elle est et restera une science sociale. L’histoire de la pensée économique nous enseigne l’existence de quatre paradigmes : l’école classique anglaise, l’école marxiste, l’école néoclassique et l’école keynésienne. A partir de là, nous observons deux conceptions du bien-être. Les choix économiques étant des choix de société, les fondements économiques du bien-être entraînent des choix civisationnels différents et contradictoires.

 

Conception traditionnelle : l’optimum de Pareto…

L’économie du bien-être est issue de l’école néoclassique. L’optimum de bien-être, ou de Pareto, est une situation où il est impossible d’améliorer la situation d’un individu sans modifier celle d’un autre. Deux théorèmes fondamentaux en ressortent : tout équilibre concurrentiel est un optimum de Pareto, tout optimum de Pareto est associé à un système de prix tel qu’il soit un équilibre concurrentiel. Quelles en sont les conséquences ? Une idée très simple et relayée par de nombreux politiques, intellectuels ou économistes, la recherche de l’intérêt individuel dans un environnement concurrentiel permet la réalisation de l’intérêt collectif. Nous retrouvons là derrière la fameuse main invisible et la conception de l’Homo economicus.

 

Il est important de prolonger l’analyse. La recherche de l’intérêt individuel, dans cette optique, se comprend comme la maximisation de l’utilité individuelle sous contrainte. Cette phrase barbare signifie que chaque individu est contraint par son revenu à rechercher son optimisation. Comment ? Tout simplement à partir d’une courbe d’utilité, qu’il connaît bien sûr, qui lui permet d’arbitrer ses choix. Exemple : un panier de deux biens, deux prix différents, l’individu va rechercher la combinaison la plus optimale, celle qui lui offre la consommation maximale de ces biens en fonction de son revenu. Conclusion ? Le bien-être est marchand, monétaire et purement quantitatif. Le bien-être est donc objectif, il se décide par la maximisation de l’utilité possible grâce à la concurrence pure et parfaite, libre et non faussée. Cependant, par un raisonnement à l’absurde, nous pouvons très bien affirmer qu’une situation d’inégalité frappante est un optimum. Prenons l’exemple d’une situation où un individu possède tout et l’autre rien, cette situation est un optimum de Pareto. En effet, améliorer la situation du second entraîne une modification négative du premier ! Cette société est en situation optimale, tout le monde est heureux…

 

Dans cette conception, la marchandisation du monde et de toutes les sphères d’activités (santé, éducation…) est nécessaire pour établir un système de prix et une situation de concurrence pour maximiser et optimiser l’intérêt individuel et collectif. Le marché sauvera l’homme et le rendra heureux. Ainsi, dans cette optique, le PIB devient un indicateur pertinent car il mesure l’ensemble des activités monétaires et leur accroissement nécessaire au bonheur de tous.

 

L’argent ne fait pas le bonheur, il n’y contribue pas toujours…

Un article de Ilana Löwy

(http://www.mouvements.info/spip.php?article290) présente des analyses économiques, psychologiques et sociologiques qui montrent le caractère néfaste d’une telle vision et surtout des préconisations qui en découlent. L’auteur montre qu’à partir d’un certain seuil (15 000 €/personne/an), ‘les ressources matérielles additionnelles n’apportent qu’un supplément modeste de bonheur’. De plus, les analyses sur le bonheur subjectif montrent un résultat intéressant, à la question : ‘êtes-vous satisfait de la vie que vous menez sur une échelle de 1 à 10 ?’ Les réponses en moyenne se situent autour de 6,6/10 entre 1975 et 2005. Ce qui correspond à un bonheur subjectif très moyen, quand on sait que le PIB/hab a augmenté de… 75 %. Une analyse qui va à l’encontre de la théorie de la maximisation. Mais ce n’est pas tout, toujours dans ces études empiriques, nous n’observons pas de corrélation entre accroissement du PIB/hab et l’amélioration du développement humain. A partir d’un seuil, l’accroissement de richesse n’entraîne plus de réduction des inégalités ou de la pauvreté. La maximisation de l’utilité individuelle n’offre pas l’intérêt collectif d’une nation. Un constat peut en découler, la disparition de corrélation à partir d’un seuil prouve que l’on peut atteindre les mêmes résultats dans ces domaines avec moins de richesse économique. Et c’est là qu’entre en compte la politique. Le développement n’est pas une question de croissance, la lutte contre la pauvreté et les inégalités non plus. De plus, terminons sur un autre constat, la corrélation entre accroissement des PIB et des émissions des gaz à effet de serre.

 

Toujours dans l’article de Löwy, trois études sont présentées, une économique, une psychologique et une médicale, les conclusions sont sans appel. Layard, économiste britannique, montre que l’accroissement des PIB a entraîné une augmentation dans les statistiques des consultations psychologiques, des prescriptions de psychotropes, des suicides et de l’alcoolémie. Sa conclusion est simple, les sociétés individualistes, productivistes et égoïstes ne peuvent concilier efficacité économique et accroissement du bien-être. En effet, l’augmentation de la flexibilité du marché et du travail déstabilise les liens sociaux et détruit l’élément socialisateur de la famille. De plus, la vie sociale est dénaturée.

 

Deuxième étude, celle de Sennett. Le sociologue étudie les conséquences de l’économie de marché sur la vie des hommes. La société flexible et globalisée modifie les valeurs et les remplace. Les sociétés modernes passent d’une éthique fondée sur l’acquisition d’un savoir-faire et la satisfaction du travail bien fait à celles de l’éthique de la valorisation individuelle et du mérite. Cette évolution affaiblie les liens entre l’homme et le travail. Ainsi, l’individu perd confiance et se sent inutile dans la société, il en devient déconnecté à cause de l’insécurité de l’emploi et de la fragmentation des expériences.

 

Dernière étude qui vient contester la recherche du bonheur purement matériel et des évolutions sociétales qui vont avec. Wilkinson est médecin, il part d’un constat simple, les personnes vivant dans des sociétés industrialisées et inégalitaires ont plus de problèmes de santé que ceux qui vivent dans des sociétés égalitaires. Et cela se montre par les fortes variations des taux de mortalité précoces (avant 60 ans). Ce médecin a étudié la situation entre les Etats-Unis et les pays nordiques, malgré un PIB supérieur, les Américains ont une santé plus précaire et mauvaise que celle des pays scandinaves. Et pour ne pas fausser l’étude, il exclut les Américains n’ayant pas d’assurance maladie et vivant sous le seuil de pauvreté. Ainsi, les sociétés inégalitaires affaiblissent le lien social, le degré de confiance envers les autres et surtout le niveau d’entraide et du sentiment de sécurité. Les individus ressentent de façon plus complexe et dangereuse la précarité de l’emploi, par exemple.

 

Redéfinir le bonheur ? Est-ce possible ?

La conception du bien-être en économie peut paraître illusoire et quelque peu bizarre. Ne pensons-nous pas être différents devant le bonheur, ce dernier n’est-il pas subjectif ? Au-delà de ces questions, les théories du bien-être, version libérale et néoclassique, s’inscrivent dans la logique d’équilibre général. L’économie de marché est centralisée, elle fonctionne grâce à ses marchés autorégulateurs. Il est nécessaire de considérer le bonheur de telle façon qu’il puisse s’intégrer dans une logique de société de marché. Mais cette conception légitimise toutes les privatisations et la marchandisation de toutes les s
phères de la société. A l’heure des contradictions entre efficacité économique et performance écologique, ne doit-on pas redéfinir, non pas le bonheur ou le bien-être, mais les moyens d’arriver à une société qui concilie environnement, social et économie ? Le développement durable passe par une réflexion sur la richesse, la valeur et le bien-être pour sortir de la logique actuelle qui n’a pour conséquence qu’inégalité, pauvreté et affaiblissement du lien social. La société individualiste se rend compte de ses limites. Une réflexion que je me permettrai d’essayer dans un futur article…

 

Par Nesta sur Agoravox http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=44533