(Westbury) Dans la campagne bucolique de l’Estrie, une usine, banale en apparence, révèle aussitôt qu’on y pénètre une structure fascinante, haute de cinq étages et hérissée de tuyaux, de roues, de cadrans : une bioraffinerie. Une poignée d’hommes et de femmes s’affairent en son ventre à produire le carburant de l’avenir, un pétrole vert fabriqué à partir… d’anciens poteaux électriques!

L’usine de démonstration d’une dizaine de millions de dollars située à Westbury, près de Sherbrooke, marque un point tournant pour Enerkem. Elle concrétise la vision du professeur Esteban Chornet d’utiliser des matières organiques, peu importe que cette biomasse soit urbaine, forestière ou agricole, pour les transformer en carburant ou en produit chimique, le tout à une échelle industrielle.

En gros (on vous épargne les détails techniques), il suffit, par exemple, d’utiliser le contenu du sac de poubelle pour le transformer en gaz. Celui-ci est ensuite synthétisé en éthanol. On peut aussi utiliser de la paille, du bois, des algues, etc.

Des chercheurs de partout dans le monde se livrent une course effrénée afin de trouver une solution pour remplacer les hydrocarbures par d’autres substances pour fabriquer de l’énergie. Enerkem, une compagnie québécoise se trouve dans le peloton de tête.

Deux sociétés de capital de risque américaines viennent d’y investir. La compagnie a un contrat de 25 ans avec Edmonton pour la transformation de déchets domestiques en biocarburant. Beaucoup de municipalités, qui discutent avec Enerkem, n’attendent que cette technologie verte fasse ses preuves (voir Une municipalité d’ici sur les rangs).

On sait déjà que l’éthanol cellulosique contribue à la réduction des gaz à effet de serre en utilisant des matières premières qui produiraient du méthane lors de leur enfouissement et en se substituant, dans les voitures, au pétrole.

L’idée n’est pas totalement originale, le Japon et le Suède ont une expertise en la matière, mais le procédé d’Enerkem est plus écologique, puisqu’il utilise une approche thermochimique. L’usine sera autosuffisante sur le plan énergétique, en prélevant l’énergie à même le processus de transformation des déchets.

à Westbury, l’usine s’est installée à côté d’une scierie qui débite les poteaux électriques usagés. La scierie utilise le centre pour tailler des madriers, le reste, contaminé aux produits chimiques, est déchiqueté et acheminé dans l’usine par convoyeur. Les contaminants sont décomposés par gazéification ou neutralisés.

Cette technique de gazéification se distingue aussi par le peu d’eau qu’elle requiert en comparaison de la méthode traditionnelle de fermentation. Les matières résiduelles de l’opération servent ensuite d’agrégat pour le ciment ou la brique. Quant au CO2 qui résulte de l’opération, il est capté dans des bonbonnes pour une utilisation industrielle. Selon un rapport indépendant sur le cycle de vie, le processus global permet une réduction nette de plus de trois tonnes de CO2 par tonne de déchets traitée.

Bref, rien ne se perd, rien ne se crée.

Lors de la visite du Soleil, l’équipe de production s’affairait à régler les derniers détails de la mise en route de son usine de démonstration industrielle, d’ici les prochaines semaines.

Terrain de jeu

L’usine Westbury est la deuxième étape vers la commercialisation d’une idée développée en laboratoire ? avant la véritable usine. Il y a d’abord eu une usine pilote. Celle d’Enerkem, mise en place dans le parc industriel de Sherbrooke en 2003, sert toujours. Elle est «le terrain de jeu des ingénieurs», pour reprendre l’expression de Denis Arguin, vice-président, ingénierie et implantation de projets.

à cet endroit, le bon vieux système D fait des miracles. «On trouve nos pièces sur eBay, ça prend moins de temps à usiner et ça coûte moins cher. Les gens sont très créatifs. ça permet d’envisager des concepts complètement différents.»

On peine à imaginer en arpentant ce lieu qui a une vague ressemblance avec la salle des machines d’un sous-marin que des alchimistes nouveau genre tentent de concocter le carburant de l’avenir. Et pourtant. Jusqu’à maintenant, une vingtaine de matières premières ont passé le test de la transformation ? dont des boues usées, du fumier de poulet… Depuis, on tente sans cesse de raffiner la technique pour maximiser le résultat et minimiser l’impact.

L’éthanol a mauvaise presse depuis qu’experts et écologistes ont mis en lumière que l’utilisation de certaines plantes comme le maïs causait plus de dommages qu’il ne produisait de bénéfices pour l’environnement. D’où l’engouement pour l’éthanol cellulosique, dit de «deuxième génération», comme biocarburant.

D’autant qu’une majorité s’accorde maintenant sur le fait que les véhicules hybrides, qui utilisent électricité et carburant comme mode de propulsion, s’avèrent une solution plus réaliste que l’auto électrique. Or, le procédé serait encore plus écologique si on remplaçait le pétrole, en tout ou en partie, par de l’éthanol cellulosique.

L’époque du gaspillage éhonté des ressources naturelles qui caractérise la révolution industrielle a atteint sa conclusion logique. Pour intégrer les pays émergents, la planète n’aura guère le choix de se mettre au diapason du développement durable.

Si le procédé conçu par Enerkem livre toutes les promesses, il permettra de diminuer la pression sur les sites d’enfouissement, de réduire la dépendance québécoise au pétrole et de créer des emplois verts. Il réduira aussi sensiblement les émissions de GES du secteur du transport (40 % des émissions totales au Québec). ça commence à ressembler à une vision de l’avenir.

éric Moreault

Source : http://www.cyberpresse.ca/le-soleil/actualites/environnement/200903/20/01-838763-le-carburant-de-lavenir-rouler-grace-aux-dechets.php