50 millions de citoyens en Europe sont concernés ?

L’Historien A. Toynbee a beaucoup étudié la naissance et le déclin des civilisations. Il souligne le rôle capital que jouent les « minorités créatrices » dans l’essor des nouvelles civilisations. Il constate que très souvent, dans les périodes de crise et de transition c’est une minorité de quelques pour cents de la population qui crée un nouveau système de valeurs, une nouvelle vision de la vie, en s’appuyant sur une intuition, une inspiration et une vision spirituelle puissante et innovante. D’autre part il constate que les civilisations qui ont perdu leur âme et leur lumière spirituelle intérieure, déclinent rapidement. Une minorité créatrice de 50 millions de citoyens, aux Etats-Unis ?

Un sociologue californien Paul H. Ray a mis en évidence en 1996, l’existence d’un « troisième » groupe de citoyens Nord-américains
– inclassables comme démocrates ou républicains – qu’il appelle les « cultural creatives » (créateurs de culture) et qui représenteraient 24% de la population, c’est-à-dire environ 50 millions de citoyens. Et dans ce groupe 66% sont des femmes. Les femmes sont donc aux avant-postes du changement. Quel est le profil de cette minorité nouvelle et peu visible ? Ces citoyens regardent peu la télévision, optent souvent pour l’homéopathie et les médecines alternatives. Ils/Elles lisent à eux seuls 80% des livres publiés, se préoccupent d’écologie, décident subitement de travailler moins pour s’occuper de leur famille, tentent de réinventer leur couple, ou divorcent si un des deux partenaires ne suit pas la même évolution, ou qu’un arrangement à l’amiable n’a pas pu être trouvé. Au plan professionnel, Ils/Elles rompent avec le « workalchoolism », (le travail comme drogue), changent éventuellement de job, et sont prêts à gagner moins pour pouvoir développer leur créativité. Elles/ Ils investissent aussi souvent dans la communauté où ils habitent, participent à l’animation de quartier, font partie d’un comité local, etc. Généralement cette frange de la population est altruiste et xénophile, c’est-à-dire qu’elle aime voyager rencontrer d’autres cultures, d’autres cuisines, d’autres formes d’art, d’autres manières de voir la vie. Ils/Elles sont aussi très intéressé(e)s par la dimension psychologique et spirituelle de la vie. Certains font des thérapies en tous genres et y investissent beaucoup de temps et d’argent. La majorité se sent à l’étroit dans les catégories psychologiques traditionnelles. Des pistes comme la psychologie transpersonnelle suscitent de l’intérêt. Beaucoup de recherches sont faites dans la redécouverte du corps et de son lien avec la dimension spirituelle. Globalement leur cheminement intérieur ne semble pas les éloigner de l’ouverture au social, au contraire. Il y a dans ce groupe une redécouverte générale du sacré, par exemple du caractère sacré de la nature. Elles/ils se sentent responsables de la manière dont est traitée Gaia, la Terre-Mère. Certain(e)s redécouvrent leur religion avec un regard totalement nouveau, tandis que d’autres sortent de leur organisation religieuse sur la pointe des pieds et essayent de faire une synthèse des meilleurs aspects dans les diverses religions. Ils rejoignent l’énorme groupe que d’autres sociologues appellent « unorganized spirituality ». Un troisième groupe découvre avec un émerveillement parfois un peu novice, les religions orientales. Quelles sont les valeurs qu’ils/elles rejettent ? Ils refusent la société de consommation et le modèle de bonheur qu’elle propose, ainsi que l’idéologie de la liberté de marché comme solution à tous les problèmes. Ils refusent le désenchantement de la vie de tous les jours sans horizon, et le matérialisme qui le sous-tend. Elles/ils refusent l’idéologie du gagneur à tout prix, et la violence patriarcale qui la sous-tend souvent. Ils/elles ne supportent pas les intolérances d’où qu’elles viennent, fondamentalisme, militarisme, racisme, sexisme, etc. Elles/ils sont souvent opposés à la politique militariste et guerrière de leur gouvernement, et militent parfois dans des mouvements de paix, de non-violence, ou de limitation de la possession des armes à feu. On trouve des représentants de cette couche également dans une minorité du Business . On en trouve parmi les enseignants, les intellectuels, mais aussi dans des classes plus simples. Il semble en effet que ce phénomène n’est pas comme en 1968 un « phénomène de campus ». Il touche des couches assez diverses de la population, ce qui fait son grand intérêt sociologique. Il semble qu’il pourrait s’agir d’un glissement de valeurs assez fondamental. Ray parle lui-même de changement de paradigme, et émet l’hypothèse que ce groupe est transmoderne et prépare la transition de la société Nord-américaine vers un au-delà de la modernité rationnelle.

Qu’en est-il en Europe ?

En septembre 1997, la Commission européenne a utilisé une partie du questionnaire de Paul H. Ray pour sonder les citoyens européens. A quoi a abouti cette étude préliminaire européenne ? En voici les conclusions : « Il est très fortement probable qu’un groupe de même nature que les « cultural creatives » américains puisse être identifié en Europe.(…) Il paraît bien possible qu’une minorité non-négligeable d’Européens, par exemple de 10 à 20% présente un ensemble de traits proches de ceux des « cultural creatives ». Si les études suivantes confirment les données du rapport préliminaire, cela signifierait qu’il existe en Europe une minorité créatrice de plus de 50 millions de citoyens.

Marc Luyckx Ghisi

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