Policiers hackers ou interdiction de sites comme YouTube, rien n’y fait… Le Web catalyse le ras-le-bol.

Par ARNAUD VAULERIN

Tunisie-le régime dépassé par la cyberrésistance

Page Facebook d’un étudiant montrant le drapeau tunisien ensanglanté. (REUTERS)

C’est la voix d’une blogueuse qui n’a pas froid aux yeux. Elle s’appelle Lina Ben Mhenni et depuis quinze jours fournit de précieuses informations sur les émeutes meurtrières qui s’étendent en Tunisie. Hier après-midi, elle a mis en ligne les photos de cinq «martyrs» vraisemblablement tués à Regueb, une ville située à une trentaine de kilomètres de Sidi Bouzid, où ont démarré les manifestations contre le chômage à la mi-décembre.

Répercuté. Selon son blog, «A Tunisian girl», elle s’est rendue dans cette ville dimanche, et a tenté d’y retourner hier. Sur Twitter, elle témoignait de tirs entendus, de fumée noire au-dessus de la ville, en attendant d’être autorisée à y entrer à nouveau. Elle a également répercuté les arrestations des blogueurs et activistes Slim Amamou, Aziz Amami, Hamadi Kaloutcha, du leader étudiant Wissem Sghaier, etc. Ces posts ont été repris via Facebook où elle a ouvert une page. Comme en Iran l’an dernier, la résistance a investi les réseaux sociaux.

Dans cette guerre de mots et d’images à laquelle se livrent le pouvoir de Ben Ali et les cyberrésistants, le blog collectif indépendant nawaat.org reste largement en pointe. Le site, créé en 2004, a ouvert une page spéciale sur les événements de Sidi Bouzid mais donne beaucoup à voir sur ce qui se passe dans l’ensemble de la Tunisie. La révolution des smartphones fait que la moindre manifestation est vite mise en ligne sur ce blog citoyen. Hier, des mini-vidéos de révoltes à Bizerte, Fériana ou Kasserine étaient en tête de la homepage, à côté d’images d’une conférence d’avocats. «Nous avons en moyenne 80 000 visiteurs uniques par jour, c’est huit fois plus que d’habitude. C’est un mouvement d’ampleur qui touche tout le monde», constate Malek Khadhraoui, le coadministrateur du site animé par trois Tunisiens. «Grâce à Internet, la barrière de la peur a sauté, estime Selim Ben Hassen, président du mouvement citoyen Byrsa. La lutte pour la dignité du père de famille qui ne peut plus nourrir sa famille et celle du journaliste qui se fait sodomiser dans les locaux du ministère de l’Intérieur se sont rejointes.»

«Perfide». Le Web catalyse le ras-le-bol. Et dans ce bras de fer de la communication, le régime a perdu la première manche. En interdisant les sites d’informations et de partage de vidéos (YouTube, Dailymotion), il a bien malgré lui fait migrer les Tunisiens sur Facebook, où près de 2 millions d’habitants (sur 11 millions) auraient une page personnelle selon Checkfacebook. «Il va réfléchir à deux fois avant de bloquer Facebook en Tunisie, avance Malek Khadhraoui. En 2008, ils l’avaient fait pendant quatre-cinq jours avant de reculer, vu la colère des internautes.Ben Ali avait dû intervenir en personne pour rassurer tout le monde.» Le blogueur fait état d’une «censure bien plus perfide, au coup par coup».

Le régime intervient sur des profils identifiés comme gênants. Il pirate des comptes, change les mots de passe des boîtes mail, multiplie les filtres, bloque des sites et des serveurs. Les cyberflics se livreraient à du hacking, à de la veille et à du renseignement, avant de déverser la propagande contre les opposants et les dissidents, dénigrés comme des «gays, agents du Mossad, francs-maçons, séniles, dans des montages pornographiques ou orduriers», relate Selim Ben Hassen. D’autres investissent les sites d’informations pour déposer des dizaines de commentaires favorables au RCD, le parti de Ben Ali, et pour vanter le «miracle économique tunisien».

Selon nawaat.org, 600 policiers environ seraient chargés des basses oeuvres sécuritaires sur le Web. Hébergés dans un bâtiment construit il y a deux ans à Carthage, ils travailleraient en étroite collaboration avec l’Agence tunisienne d’Internet qui leur ouvrirait les portes du Web tunisien. Sans limite.

Source:

http://www.liberation.fr/monde/01012312916-le-regime-depasse-par-la-cyberresistance