La Troisième Révolution Industrielle-l'économie collaborativeLe dernier ouvrage du célèbre économiste m’a rendue fort enthousiaste ! Parmi les raisons de cet enthousiasme : la façon dont il prend en compte l’économie collaborative. Explications.

Je ne vais pas ici vous résumer La Troisième Révolution Industrielle, dernier opus de Jeremy Rifkin. J’ai eu l’occasion de le faire plus en détail sur EcoloInfo.com et j’avais envie ici de me concentrer sur la manière dont le renommé prospectiviste – qui n’a rien d’un gentil utopiste, intègre la logique collaborative dans sa vision de l’économie de demain.

Repenser la propriété

Rifkin anticipe depuis longtemps le passage d’une économie de la propriété à un âge de l’accès. Dans ce nouveau livre, il détaille une fois encore ce besoin de repenser la propriété : dans la théorie classique, les échanges de propriété sur le marché constituent le moyen le plus efficace de stimuler l’activité économique et de répandre la prospérité. Mais cette notion n’est apparue qu’avec l’ère de l’agriculture, explique-t-il : avant, notre espèce menait une vie communautaire de chasseurs et de cueilleurs… Puis ce fut une propriété pensée comme collective plus qu’individuelle : la fin de l’économie féodale et l’aube de l’ère du marché sont arrivées avec l’adoption des grandes lois d’enclosure de l’Angleterre des Tudor et élisabéthaine. Sans parler des philosophes des lumières, qui « ont fini par voir dans l’acquisition de biens une pulsion inhérente à notre constitution biologique et non une préférence sociale déterminée par un paradigme d’énergie/communications bien précis. »

Le mécanisme de marché est devenu « la main invisible » qui régule l’offre et la demande de propriété privées, et la recherche de l’intérêt personnel garantit une amélioration régulière du bien-être général et fait avancer l’humanité sur la route vers un progrès illimité…

Mais le paradigme est sur le point de changer, affirme Rifkin :

« L’émergence de la Troisième Révolution Industrielle introduit une conception très différente des pulsions de l’espèce humaine et des postulats qui régissent son activité économique. La nature distribuée et coopérative du nouveau paradigme économique impose un réexamen fondamental de la haute considération dont jouissaient à l’époque précédente les rapports de propriété privée sur les marchés.

La connexion toujours plus rapide du système nerveux de chaque être humain à tout autre être humain sur terre via Internet et les autres nouvelles technologies de communication nous propulse dans un espace social mondial et dans un champ inédit de temps simultané. Par conséquent, l’accès aux vastes réseaux mondiaux devient une valeur aussi importante que les droits de propriété privée aux XIXe et XXe siècle. »

Comment expliquer cette évolution ?

Merci Wikipedia et Facebook

Pour Rifkin, les jeunes générations y sont pour beaucoup :

« La génération qui a grandi sur Internet se soucie fort peu, manifestement, de l’aversion des théoriciens classiques de l’économie pour le partage de la créativité, du savoir et des compétences, et même des biens et services dans des communaux ouverts en vue de l’intérêt commun »

Dans la conception économique classique en effet, ces dispositifs sont contraires à la nature humaine et voués à l’échec. Pourquoi ? A cause des grands-méchants-comportements-prédateurs : certains profiteront de la naïveté de leur pairs en bénéficiant gratuitement des apports des autres (on retrouve ici la logique du  passager clandestin).

La différence sur laquelle insiste Rifkin, c’est que les jeunes partagent naturellement : ils sont prêts à donner de leur temps et de leur savoir, en général gratuitement, pour les autres. Ils le font « par joie pure et simple de partager leur vie avec les autres – et ils sont sûr que contribuer au bien-être de tous ne leur enlève rien, mais accroît leur propre bien être, énormément ».

Au final, Facebook et Wikipedia défient le fondement même de l’économique classique : non, les humains ne sont pas des créatures intéressées toujours en quête d’autonomie ! Ils sont pires, et les réseaux sociaux révèlent notre vraie nature, pourrait-on dire :

« Les énergies et les moyens de communication de la TRI* mettent au jour un ensemble de pulsions biologiques tout à fait différent – le besoin de convivialité et la quête de communauté »

Et que cela va-t-il donner, concrètement ?

Une économie canapé ?

A poursuivre ma lecture, j’ai fait un raccourci et me suis dit que l’on pouvait désormais parler d’ « économie canapé » : comprenez moi, si je fais ce clin d’oeil au principe du couchsurfing, c’est aussi parce que l’économie s’horizontalise et devient plus distribuée, valorisant davantage les relations en pair à pair (plus que les échanges autonomes) et poussant ainsi les entreprises à transformer la nature même de leurs méthodes d’acquisition de revenus :

« Produire un bien pour l’échanger, idée forte du capitalisme, devient de moins en moins rentable dans une économie intelligente où les coûts d’échange ne cessent de s’alléger jusqu’à la quasi-gratuité. (…) Au fil de cette évolution, les échanges de biens sur des marchés vont céder la place aux relations d’accès à des réseaux coopératifs, et la production pour la vente va être absorbée par la production pour l’utilisation en juste-à-temps. Le journaliste du NewYorkTimes Marck Levine a résumé astucieusement le nouvel état d’esprit : « le partage est à la propriété ce que l’Ipod est à la cassette audio, ou le panneau solaire à la mine de charbon. Partager c’est propre, vif, ingénieux, post-moderne ; posséder c’est terne, égoïste, timoré, arriéré »

Conséquence ? Le capital financier ne va pas disparaître, mais on va s’en servir de manière fondamentalement différente. Avec la TRI*, le temps devient la denrée rare et l’unité de compte cruciale ; l’accès aux services l’emporte alors sur la propriété et devient le moteur essentiel de l’économie.

Rifkin illustre ces propos avec des exemples qu’Antonin vous a présentés à plusieurs reprises sur ce site : musique, vacances, transports… Rifkin prend même l’exemple du site internet d’Etsy pour illustrer la personnalisation des relations entre le vendeur et l’acheteur : pour Kalin, le fondateur de la plateforme citée par l’auteur, il s’agit de « contribuer à stimuler la « conscience empathique » dans la vie économique mondiale et poser les base d’une société d’inclusion. Sa vision consiste à créer des « millions d’économies locales vivantes qui vont rétablir le sens de la communauté dans l’économie » est l’essence même du modèle de TRI*. »

Au final :

« Tout comme l’économie de la TRI* permet à des millions de personnes de produire leur propre énergie, une nouvelle révolution de la fabrication numérique rend aujourd’hui possible de faire de même dans la production de biens durables. A l’ère nouvelle, tout le monde peut être son propre industriel autant que sa propre compagnie d’électricité. Bienvenue dans l’ère de la prod
uction industrielle distribuée
».

Rifkin cite aussi production en trois dimensions, qui permet à chacun de produire ce dont il a besoin de manière personnalisée (cf. Within Technologies, Digital Forming, Shape Ways, Rapide Quality Manufacturing, Stratasys…) – une sorte de « fabrication additive ».

A qui le succès économique ?

Aux logiques durables, affirme Rifkin ! Le monde qui vient est un monde où « l’accès éclipse la propriété, où le fournisseur reste en possession du bien pour le louer par tranches temporelles à des usagers dans le cadre d’un leasing, d’une location d’un temps partagé, d’un paiement d’avance pour retenir le bien et d’autres dispositif temporaires, l’idée de durabilité devient indissociable du profit, et n’est plus simplement l’acte de conscience socialement responsable d’un manager éclairé. »

Les firmes ont donc intérêt à construire des biens durables, vus qu’ils restent leur propriété…

Finalement, c’est l’économie classique qui va aussi avoir besoin d’une thérapie et de s’allonger sur le canapé pour intégrer tout cela… !! Ben oui, comme nous le prédit notre visionnaire en chef :

« Le passage de la relation vendeur-acheteur au rapport fournisseur-usager, et de l’échange de propriétés sur des marchés à l’accès à des services pour un temps déterminé dans des réseaux, nous fait voir la théorie et la pratique économiques sous un tout autre jour. Mais à un niveau plus profond encore, l’émergence d’une infrastructure d’énergie/communications de TRI change la façon dont nous mesurons le succès économique »

A bon entendeur, prenons le train en marche !

Anne-Sophie Novel

Journaliste Economie / Développement Durable, membre de Ouishare

++ Pour aller plus loin ++