La démocratie est un système politique censé donner le pouvoir aux citoyens par consultation électorale. Cette définition minimaliste est pourtant très loin de correspondre à la réalité. Si la pluralité des systèmes démocratiques nous questionne directement sur la monosémie du mot, le paradoxe tient surtout à la nature du vote : exercice, ou abandon du pouvoir ? L’ambiguïté de la relation qu’entretient le vote avec le pouvoir nous conduit à énoncer un autre paradoxe, plus important : la démocratie ne serait-elle pas une dictature de plus ? Si nous pouvons aisément convenir que la démocratie est le moins mauvais des systèmes politiques, n’en voyons-nous pas les limites ? Une modernisation ne s’impose-t-elle pas, qui prenne en compte les aspirations du peuple tout en limitant ses excès ?

Certes, les démocraties offrent au citoyen un certain nombre de garanties, et leur pluralité ne cède rien à une communauté de valeurs fondamentales.

D’abord, le peuple est régulièrement consulté par voie électorale, selon différentes modalités. La régularité de cette consultation garantit la représentation des aspirations des citoyens à un moment clef de la vie politique – l’élection- et permet l’alternance, théoriquement la capacité du peuple à défaire ce qu’il a construit la veille.

Ensuite, la conduite des affaires publiques est assurée par des représentants de la majorité du corps électoral votant, dans le respect d’institutions dont l’objet premier est d’assurer la gouvernance, c’est-à-dire la bonne marche des affaires, même en l’absence de réelle majorité, la représentation de la moitié des citoyens plus un.

En outre, le fonctionnement des institutions et la séparation des pouvoirs trouvent stabilité et équité dans une constitution dont la réforme est rendue difficile.

Tout régime démocratique offre enfin au peuple un certain nombre de libertés publiques, et suppose garantir un traitement équitable aux minorités.

Ces différentes garanties ne doivent pourtant pas cacher l’illusion démocratique. En effet, nos systèmes démocratiques sont représentatifs, c’est- à-dire qu’au moment du vote, le citoyen abandonne son pouvoir à des représentants. Ceux-ci sont élus sur la base d’un choix négatif, non pas positif. Inconstitutionnalité de la vacance du pouvoir et obligation d’une recherche de majorité conduisent généralement l’électeur à porter son vote sur un autre candidat que le sien, lorsque ce dernier n’a pas été retenu dans le dernier carré. Il y aura donc toujours quelqu’un pour lequel voter. L’importance de l’abstention aux différentes élections, associée aux bulletins blancs ou nuls (qui ne sont pas pris en compte), trahit la désaffection de l’électorat non pas pour la politique, mais pour l’élection. L’urne n’est en effet qu’une chambre d’enregistrement du plus grand dénominateur commun, rien de plus. D’ailleurs, 70% au moins des décisions qui affectent notre devenir sont prises à Bruxelles, sans aucun respect pour les particularismes locaux ni pour la démocratie de proximité. Le citoyen européen est donc unique, standardisé. Il est vrai que l’uniformité est un moyen de contrôle efficace.

Si les textes garantissent à la plupart des citoyens le droit de se présenter à une élection, la réalité est bien différente. D’une part, il faut être soutenu par un parti politique aux finances suffisantes pour communiquer avec le citoyen, tout en étant appuyé par des médias complaisants et des groupes de pression, et, naturellement, trahir les amis de la veille. L’électeur qui croit choisir son candidat valide ainsi un système qui non seulement le méprise, mais le maintient à la merci de ces fameux lobbies, les seuls à être véritablement écoutés (voir l’influence de la Trilatérale dans les décisions actuelles). L’abstentionnisme grandissant et les politiques impopulaires (CPE, DADVSI…) ne font que confirmer cela. D’autre part, il faut être capable de « communiquer », c’est-à-dire de travestir habilement la vérité. L’homme honnête ne peut donc, à quelques exceptions près, représenter les siens. Il ne faudrait pas non plus tomber dans les pièges médiatiques qui fabriquent régulièrement des hommes providentiels (le couple Sarkozy-Royal aujourd’hui) afin de donner de faux espoirs aux électeurs.

Si tout homme politique est élu sur la base d’un bilan et/ou de promesses, il n’est malheureusement pas tenu d’appliquer ces dernières. Pourtant, ne peut-on pas penser l’existence d’un contrat entre l’électeur et son élu ? Que ce soit dans le domaine du travail, de la consommation ou des relations sociales (le mariage par exemple), il y a toujours un moyen de revenir sur sa décision lorsqu’on a commis une erreur, lorsqu’on s’est trompé ou lorsqu’on a été mystifié. Au contraire, l’homme politique peut « communiquer » en toute impunité pour conquérir le pouvoir, conforté par la légitimité électorale.

La démocratie représentative s’essouffle, et ne représente plus le peuple, juste un quarteron de nantis qui concentre l’essentiel des pouvoirs et gère les affaires de la planète au mépris des règles élémentaires de bon sens. Le citoyen est majoritairement contre les OGM, pourtant ceux-ci sont présents. Le citoyen est pour un accès libre à une culture diversifiée, pourtant celle-ci est mise sous tutelle. Le citoyen est enfin pour le droit à être informé objectivement, pourtant l’information est contrôlée, scénarisée (la fonction référentielle du langage est délaissée au profit des fonctions poétique, conative et expressive). Le citoyen n’est donc plus qu’une unité de production-consommation, une statistique perdue parmi tant d’autres, infantilisé par des programmes télévisés, observé par des agences de marketing et manipulé par des groupes de communication. L’Education nationale elle-même, dernier rempart contre la dictature, est en passe d’être démantelée et n’enseigne plus à penser. Il est urgent de moderniser la démocratie, afin de replacer le citoyen et ses aspirations au centre du système démocratique, dont il a été progressivement dépossédé. Ceci, les hommes politiques et les élites qu’ils servent n’en veulent pas, prétextant que les réactions populaires sont dangereuses pour la démocratie. Il est par conséquent utile de rappeler que la démocratie représentative n’a pas empêché des dictateurs d’accéder au pouvoir. Hitler en est un triste exemple.

La démocratie participative comporte certes des risques, qu’il convient de limiter pour ne pas tomber dans les excès populaires et démagogiques, et nous pouvons faire confiance aux brillants constitutionnalistes dont ne manque pas notre pays pour les pallier. La Suisse, avec sa démocratie semi-directe, est un exemple dont on peut déjà s’inspirer, sans toutefois fidèlement l’imiter. Arguons cependant que la rénovation de la démocratie, très loin d’aboutir, nécessitera un certain nombre de crises. Peut-être en voyons-nous les prémices ?

Conserver un système démocratique représentatif ne serait pas une mauvaise idée non plus, à condition de le mettre sous tutelle citoyenne. Cela devrait se traduire par un certain nombre de réformes profondes.

L’extension de la procédure d’empêchement d’abord. Le Conseil constitutionnel devrait pouvoir être saisi par les citoyens pour retirer son mandat à un élu dans un certain nombre de cas : promesse électorale non tenue (en donnant une valeur contractuelle aux promesses électorales car elles sont un moyen de gagner une élection), et décisions auxquelles n’adhèrent pas la majorité des citoyens. Ensuite, il faudrait intégrer le référendum d’initiative citoyenne sur un certain nombre de thèmes majeurs, référendum qui aurait une valeur juridique supérieure aux décisions de Bruxelles. De plus, non seulement les hommes politiques devraient être préservés des lobbies afin de prendre leurs décisions en toute objectivité, mais ils ne devraient pas pouvoir se représenter à une élection gagnée.

Ce n’est pas tout. Les partis politiques devraient adopter un fonctionnement réellement démocratique sous peine de ne pas pouvoir présenter de candidats aux élections. Ces mêmes partis devraient avoir une audience égale sur La Chaîne Parlementaire, c’est-à-dire indépendamment du nombre de leurs voix. Les médias télévisés ont en effet une influence prépondérante dans le débat démocratique, alors que leur fonctionnement ne l’est pas. Le choix des sujets et leur mise en scène les conduit naturellement à manipuler l’opinion, même si ce n’est pas forcément leur intention. Une analyse du contenu rédactionnel comme de leur forme mettrait en évidence les différents usages de l’implicite, les modalisations de l’énoncé et l’abondance des fonctions non informati
ves du langage. Seuls les communiqués des agences de presse utilisent exclusivement la fonction référentielle et métalinguistique du langage. L’information télévisée n’est qu’une suite de clips vidéo. Enfin, la représentativité des élus devrait être plus conforme à l’image de la société. Certaines professions sont en effet beaucoup trop représentées : médecins, avocats, fonctionnaires. Le fonds culturel dans lequel baigne tout représentant d’une corporation conditionne en effet son système de pensée et conduit inévitablement au divorce entre les élus et le peuple qu’ils sont censés représenter.

Ces propositions ne sont ni nouvelles, ni révolutionnaires. Elles correspondent à une volonté du citoyen de reprendre le débat démocratique à son compte afin de moderniser la vie publique. Il y a urgence, car la dictature est là qui frappe à nos portes. La concentration d’entreprises en entreprises de taille mondiale, la constitution de groupes de pression financés par ces mêmes entreprises, la désaffection du citoyen pour l’élection, tout cela concourt à valider notre analyse. Tout organe social (Etat, institutions, associations ou entreprises) dont le pouvoir est trop important est une menace pour la démocratie comme pour les individus, car l’équilibre des pouvoirs est rompu.

Auteur : Tristan Valentin http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=8803 langue originale : français Liste lumitoile Pour s’abonner à la liste envoyez un email à [email protected] diffusion : http://lumiweb.org

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