L’humanisme ? Difficile d’en faire un programme politique ! Un de ces programmes bien carrés avec une liste de points très précis. Difficile de faire entrer le projet humaniste dans de si petites cases ! L’humanisme, en réalité, c’est plus une direction, un sens donné. Mais le projet humaniste n’en est pas moins essentiel ; il permet en particulier d’offrir une alternative puissante et enthousiasmante au consumérisme et au retour en force des vrais valeurs.

La vraie révolution, c’est la révolution de l’Humain. Cette révolution est contenue dans l’humanisme. Ce ne sont pas les humains qui doivent se révolter contre d’autres humains, et leur faire la guerre. C’est l’Humain, en nous, qui doit se révolter !

L’humanisme, c’est en tout premier lieu le respect de la vie. Albert Schweitzer disait : ‘Je suis vie qui veut vivre, entouré de vie qui veut vivre. Chaque jour et à chaque heure cette conviction m’accompagne. Le bien, c’est de maintenir et de favoriser la vie ; le mal, c’est de détruire la vie et de l’entraver.’ (‘La civilisation et l’éthique’, 1976) Cette pensée n’est pas rien. Si on l’appliquait déjà à notre monde, l’Humanité ne connaîtrait plus les famines ni les épidémies dues au manque de soins ou de vaccins.

Ce qui peut rendre plus vivable notre monde, c’est une révolution de l’humain, parfois contre lui-même, une civilisation fondée sur l’être plutôt que sur l’avoir. L’humain doit apprendre à dominer ses appétits. Il doit aussi se révolter contre ce qui l’abaisse ou l’avilit : le règne de l’immédiateté, de l’image et du slogan simpliste, de l’argent-roi, de la facilité et de la médiocrité sacralisée… C’est une lutte quotidienne de l’humain pour que la révolte devienne révolution, c’est-à-dire un mouvement fondateur et durable.

La révolution dans notre manière de vivre :

L’être doit prendre le pas sur l’avoir. Dans l’avoir, l’image valorisante de soi prend une place prépondérante.On n’écoute pas pour comprendre, on ne parle pas pour être compris : on parle et on écoute pour dominer l’autre et se faire valoir, pour gagner. Prouver sa propre valeur conduit souvent à la stigmatisation d’autres personnes. Alors qu’une personne saine n’a nul besoin de blâmer d’autres gens ni de prouver sa valeur en permanence.

Dans l’être, on recherchera au contraire à progresser et à faire progresser l’autre, à communier l’émotion, à partager le savoir. La recherche et la culture relèvent davantage de l’être que de l’avoir et doivent être prioritaires dans une économie de la connaissance.

Mais ce n’est pas que l’image de soi qui diffère dans les deux conceptions, c’est le rôle de l’image en général. Dans le règne de l’avoir, l’image joue un rôle majeur voire exclusif. Cette civilisation de l’image, Franz Kafka en annonçait les dangers en écrivant : ‘Le regard ne s’empare pas des images, ce sont elles qui s’emparent du regard. Elles inondent la conscience

Le principe libéral de la liberté individuelle veut que chacun coure à son bonheur. Mais cette quête personnelle effrénée a éloigné les individus les uns des autres, a fait exploser les groupes et les familes, parce que la recherche du seul plaisir égoïste et de la surconsommation atomise la société. Les moments de communion deviennent rares et le plaisir est devenu une notion préférée à la joie, la joie saine qui ne repose ni sur la possession ni le désir conditionné de posséder.

Privilégier l’être sur l’avoir ne signifie pas abolir la propriété privée ou porter des atteintes injustifiées à ce droit sacré de la Déclaration de 1789. Mais cela exige de développer l’esprit de partage de biens communs, des moments de joie collective, et de donner une part plus relative à la possession matérielle. Il s’agit de freiner le ‘toujours plus’ dans la course à l’avoir. Il y a compétition dans le paraître (habillement, possession, langage…). Des lieux et des moments de non compétition doivent être créé ou recréés. Il faut un challenge motivant autre que la seule compétition.

Le ‘devoir d’être’ conduira à un modèle de société où la consommation n’est plus le principal moteur. Ce qui signifie nécessairement décroissance et préservation du vivant et des ressources naturelles.

L’enrichissement de l’être passe par l’éducation, le dialogue, le rapport avec le vivant. L’éducation à la consommation doit être privilégiée, en réaction à la publicité agressive qui abêtit le citoyen. Lutter contre les mécanismes égotiques qui ligotent l’être humain doit aussi être une priorité de la société, combattre les aliénations et les addictions, les restrictions de toutes sortes.
Le mal-être doit être traqué et doit faire l’objet d’une meilleure prise en compte : les addictions notamment. Le bien-être doit être mesuré tout comme le PIB (Il inclut le ‘bon avoir’). L’état du Bouthan le fait déjà : pourquoi ne serions-nous pas aptes à le faire aussi ?

Enfin, préparer l’avenir suppose que la révolution humaine anticipe la révolution génétique pour pouvoir être à même de la gérer de façon responsable.

La révolution dans la sphère politique :

Les problèmes du monde ne peuvent être résolus par des sceptiques ou des cyniques dont les horizons se limitent aux réalités évidentes. Nous avons besoin d’hommes capables d’imaginer ce qui n’a jamais existé‘ (J.F. Kennedy)

Imaginer est le rôle du leader visionnaire et ne peut pas être l’oeuvre d’un gestionnaire. Mais il ne s’agit pas pour autant de faire table rase de l’existant quand il peut être corrigé, amélioré, si cet existant répond à notre idéal humaniste. La démarche oblige à sortir des sentiers battus et s’ouvre sur l’expérimentation.

Le projet de VIème république, porté par le parti socialiste et François Bayrou, était une avancée majeure parce qu’il réaffirmait quelques principes de base sains pour une bonne démocratie : séparation des pouvoirs, respect du pluralisme, respect du débat, participation des citoyens à l’exercice du pouvoir…

La révolution dans le champ politique reviendrait à remettre sur la table des discussions la réforme des institutions, à mettre un point d’arrêt à la concentration toujours plus grande du pouvoir et des moyens

médiatiques , à cesser immédiatement d’hypothéquer l’avenir des futures générations et, pour ce faire, il faut impérativement maîtriser nos déficits, revenir sur les cadeaux fiscaux.

L’humanisme en politique doit permettre de développer l’esprit de laïcité de notre République dont l’Etat doit se montrer le garant, conformément à la constitution qui s’impose à lui. Enfin, il est grand temps que l’Etat traite les électeurs en citoyens et non plus en consommateus de masse gobeurs de messages et d’images médiatiques. Il est grand temps que le Citoyen fasse son entrée en politique et soit coproducteur des règles qui sont votées.

La révolution dans l’économie :

Nous sommes à un tournant décisif puisqu’il y a unanimité pour dire que le monde ne sera plus comme avant cette crise. Cette crise, nous devons la subir, mais nous pouvons aussi choisir de ne pas nous contenter de la subir, et décider d’agir. Pour cela, un préalable est nécessaire : il faut poser le bon diagnostic. Néanmois, sans attendre le diagnostic, le retour à quelques fondamentaux du libéralisme, dont nous nous sommes éloignés ces dernières décennies, s’impose. C’est en résumé ce que dit Michel Rocard apporte dans le journal ‘Le Monde’ du 1er novembre.

La révolution consisterait à appliquer les fondamentaux des libéraux Smith, Malthus, Ricardo, et à mettre de côté les développements ultérieurs des monétaristes qui ont conduit aux excès que tout le monde co
nstate aujourd’hui.

La révolution commande de se déconnecter de la Bourse et de ses humeurs pour prendre le temps de poser les bonnes questions. ‘

Aucun économiste n’a encore posé la vraie question : quel aurait été l’impact de cette crise financière si elle avait frappé une économie réelle bien portante

?’, dit Michel Rocard. Et notre civilisation ne doit pas se faire à la ‘Corbeille’ ! Il faut donc déconnecter la politique de la Bourse. Rocard relate que ‘

des professeurs de maths enseignent à leurs étudiants comment faire des coups boursiers. Ce qu’ils font relève, sans qu’ils le sachent, du crime contre l’humanité

.’ (certes la comparaison est excessive…)

La révolution enfin, c’est aussi de dire stop à ce système qui depuis plusieurs décennies nous vend l’idée qu’il est le garant du bien-être croissant des individus et de la réduction des inégalités, alors que depuis longtemps chacun peut voir – chiffres à l’appui- qu’il engendre des inégalités toujours plus grandes et qu’il creuse de manière exponentielle un écart entre les revenus du capital et ceux du travail. Ce système était supposé réduire les inégalités ? Eh bien ! Rendons-le apte à nouveau à le faire ! Pour Rocard, on ne s’en sortira pas sans un meilleur partage des revenus, un meilleur équilibre entre salaires et profits. Il a raison !

Le capitalisme a échoué. Bayrou ne dit pas autre chose lorsqu’il affirme : ‘

L’idée fondamentale que le capitalisme portait, celle qui a échoué aussi, son postulat fondamental était que la somme des intérêts particuliers faisait l’intérêt général. Ce postulat s’est révélé faux

.’Avec le capitalisme, dit Bayrou, c’est le capital qui commande, c’est le profit qui donne le sens. Sous le commandement du capital, il n’y a plus de vraie liberté en économie. Dans le libéralisme, ce qui vient en premier, c’est la liberté. C’est une liberté qui régule et qui ne bascule pas dans la démesure ni la folie, une liberté qui s’arrête à temps. Comme le dit Rocard, pour les libéraux

‘la liberté n’était le droit de faire n’importe quoi, elle avait besoin d’être canalisée par des règles

.’La politique économique des états aussi doit recouvrer sa liberté.

‘On reste trop révérencieux à l’égard de l’industrie de la finance et de l’industrie intellectuelle de la science financière’,

constate Rocard. Pire ! Tout est subordonné à la finance : la politique comme l’analyse économique. Cette subordination au pouvoir insensé de l’argent doit être rompue.

‘Nous adhérons à l’humanisme et nous considérons que, sur bien des points, le capitalisme est en contradiction avec l’humanisme

 

.’ Ce constat du président du MoDem, il faut en tirer les conséquences logiques et installer l’humanisme au coeur même de l’économie afin d’éradiquer les contradictions flagrantes.

En conclusion, l’entrée de l’humanisme dans les trois sphères précitées doit se faire en deux temps : 1 – la révolte 2 – le développement. La révolte de l’Humain passe par le retour partout à des principes sains, à des valeurs saines, ce qui revient le plus souvent à privilégier l’être sur l’avoir. Mais une révolte ne suffit pas si le développement des valeurs qu’elle conduit ne suit pas. Il faut pérenniser le mouvement par le développement des valeurs humanistes. Ce but n’est pas utopique, il pourra se poursuivre si tous les démocrates veulent bien se donner la main. Si l’on admet comme nouveau postulat que l’homme n’est pas parvenu au stade ultime de son évolution, qu’il peut évoluer encore, pour peu qu’il s’emploie activement à se libérer des entraves sociales, politiques et économiques qui l’enserrent comme un corset qu’il s’interdit de retirer au nom du respect de règles qu’il pense protectrices et inaltérables. A nous de nous poser cette exigence et de nous y tenir.

‘L’homme se découvre quand il se mesure avec l’obstacle’

 

(Antoine de Saint-Exupéry)