Le fondateur de WikiLeaks qui défiait les grandes puissances à été arrêté…
David Le Bailly et Ghsilaine Ribeyre – Paris Match

Wikileak Julian Assange, l'homme à abattre« Quand Julian vous parle, il se rapproche et vous regarde droit dans les yeux. Il est assez drôle, plutôt sexy,
dégage beaucoup d’assurance. » Raconté par Isabelle Fraser, une jolie Anglaise qui dirige le magazine « The Isis » de l’université d’Oxford, Julian Assange n’a rien de l’« ennemi public numéro 1 » des Etats-Unis, qui vient d’être arrêté à Londres. Isabelle fait partie d’une bande de bénévoles qui avait été mobilisée, il y a un mois, dans le cadre de la préparation de la diffusion des « fuites » sur l’Irak. Dans la pièce où elle l’a côtoyé, elle a remarqué une perruque grise et d’étranges chapeaux suspendus à un portemanteau. Elle s’est demandé si Julian ne s’en servait pas pour se déguiser. Elle se souvient aussi de la présence d’un caméraman qui les filmait :
« Ils avaient la sensation de faire l’Histoire », résume-t-elle.

Depuis le 28 novembre à 19 h 10, quand a commencé la publication des quelque 250 000 « câbles » diplomatiques américains, Julian Assange avait disparu. Seule certitude, il se trouvait en Angleterre, dans la banlieue de Londres. D’après la légende, il ne dormait jamais plus de deux nuits au même endroit, se teignait les cheveux pour ne pas être reconnu et utilisait un téléphone crypté. Il se disait aussi que le Pentagone était à ses trousses. Pourtant, pendant ces ­dernières semaines, cet « homme invisible » a été particulièrement mobile, voyageant dans plusieurs pays européens, rencontrant des dizaines de personnes. Pour préparer la diffusion des documents sur l’Irak, Julian ­Assange avait pour la première fois fait appel à des Français, les responsables du site Owni, qui se sont rendus à Londres le mois dernier pour travailler avec le boss de WikiLeaks. « Mon niveau d’émotion était alors aussi élevé que celui d’un ado parlant à Justin Bieber », se souvient l’un d’eux, Nicolas Kayser-Bril, sur son blog. Avant de les laisser accéder aux documents, Assange leur avait fait signer une clause de confidentialité, qui prévoyait une amende de 100 000 livres sterling en cas de non-respect.

Si le fondateur de WikiLeaks cultive volontiers une image de justicier solitaire, il peut compter sur un réseau très solide. Des militants des droits de l’homme, des juristes, des « geeks », des fans, des journalistes. A Londres, il compte parmi ses repaires le Frontline Club, un club de reporters de guerre où il tient régulièrement des conférences de presse. « Je n’ai aucun moyen
de le joindre. C’est toujours lui qui ­appelle ou qui vient », précise ­Vaughan Smith, le fondateur du club. Est-il anti-américain, comme l’accusent les républicains, dont certains réclament ni plus ni moins que son exécution ? « Pas du tout ! répond Vaughan. Selon lui, la Constitution américaine est formidable. C’est son application qui ne va pas. »

Assange dispose de réseaux très solides

Pendant les mois d’octobre et novembre, Assange s’est consacré principalement à la préparation de la publication des dépêches diplomatiques, travaillant avec les cinq journaux qui analysent et diffusent les documents. « Il n’a posé aucune condition particulière, mais les journaux en avaient une : nous avons demandé à WikiLeaks de s’engager à ne pas diffuser les 250 000 mémos à l’état brut », ­explique Rémy Ourdan, qui coordonne pour « Le Monde » les révélations de WikiLeaks. « A la fin de l’opération, l’immense majorité des dépêches n’aura sans doute pas été publiée. Seuls quelques milliers présentent un intérêt journalistique. » Ce tri implique une logistique assez lourde : Assange, bien placé pour ­savoir que les mails peuvent être ­piratés, veut de vraies réunions. Il ­arrive avec deux ou trois de ses adjoints, il y a rarement plus de dix personnes autour de la table.

Un documentariste anglais nous explique que Assange venait très souvent au Frontline, avec son équipe, « mais quand ils ont su qu’Interpol allait lancer un mandat d’arrêt international, le 1er décembre, ils ont disparu ». Ce mandat, c’est un peu l’épée de Damoclès au-dessus de la tête d’Assange. Une plainte pour viol déposée par deux femmes en Suède cet été, et voilà que le portrait de Monsieur WikiLeaks s’affiche sur le site Internet d’Interpol avec la mention « Wanted ».

Pour en savoir plus, nous nous rendons le 2 décembre chez Mark Stephens, l’avocat d’Assange. Bedonnant, couperosé et le cheveu gras, Mark est un pro de la communication. « No ­comment » est sa réponse favorite. « Il n’est pas question de viol dans la plainte, plaide-t-il. Dans le pire des cas, on appelle ça du “sexe par surprise”. Nous n’avons reçu aucune notification officielle, rien. Julian ne se cache pas des gens qui ont besoin de savoir où il est. Ce n’est pas votre cas. – Si, puisque nous voulons l’interviewer.
– Alors, nous lance l’avocat, ­allez vous faire f… ! »

C’est un citoyen du monde et de nulle part

L’équipe juridique qui entoure Assange est décidément haute en couleur. Son défenseur suédois, Björn Hurtig, 44 ans, est un habitué des projecteurs : il a participé à une émission de télé-réalité sur les avocats, et a compté parmi ses clients Steve-O, de la série américaine trash « Jackass ». Il a tout essayé, sans ­succès jusque-là, pour obtenir l’annulation de l’avis de recherche contre Assange : faire appel, porter l’affaire devant la Cour suprême suédoise… Ce qu’il craint surtout, dit-il, c’est qu’il n’y ait pas de procès, que les Etats-Unis profitent de son extradition pour réclamer Assange. La procureure chargée du dossier a beau réaffirmer l’indépendance de la Suède, une des dépêches diplomatiques diffusées par WikiLeaks révèle que les relations entre le royaume scandinave et les Etats-Unis, distantes en apparence (la Suède a toujours refusé de faire partie de l’Otan), sont en fait cordiales : l’ambassadeur américain assure avoir trouvé dans le gouvernement centre droit du Premier ­ministre Fredrik Reinfeldt un partenaire « pragmatique et solide ».

Si Assange tombait aux mains des Etats-Unis, ses supporters pourraient dégainer leur arme de dissuasion massive : le déverrouillage de l’« assurance », un dossier crypté baptisé « insurance.aes256 », disponible sur WikiLeaks depuis juillet, qui contiendrait des révélations ­explosives pour de nombreux Etats. La clé de décryptage (une combinaison de plus de 250 caractères, ­estiment les experts) qui permet de lire le fichier serait alors distribuée aux 100 000 personnes qui ont déjà téléchargé l’« assurance ».

Pendant que la traque d’Assange se poursuivait dans le monde réel, la chasse à WikiLeaks était également ouverte sur Internet. Attaquée, la boîte à secrets se mue en hydre de Lerne. Quand le géant du livre ­Amazon lui ferme ses ­serveurs, le 1er décembre, la voilà hébergée quelques heures plus tard en France et en Suède. Dès que le site Wikileaks.org est bouté hors des Etats-Unis, il trouve vite un nouveau nom de domaine en Suisse puis en ­Allemagne, en Finlande, aux Pays-Bas… Sans compter les centaines de « sites miroirs », copies de l’original réalisées par des internautes. Parmi ces anonymes, Daniel Assange, 20 ans, le portrait craché de son père. De Melbourne, où il travaille pour un concepteur de ­logiciels, le jeune homme suit à distance les tribulations de son « Wikidad ». Daniel, dont la garde a été au centre d’une âpre bataille juridique entre ses deux parents quand il était petit, a vécu avec Julian jusqu’en 2007. La cohabitation était parfois tendue – « un père célibataire et un ado ­partage
ant une maison, ce n’est pas le mélange idéal », confiait-il en ­septembre dernier au magazine ­australien « Crikey » –, mais Daniel reconnaît que Julian a joué un rôle essentiel dans son éducation intellectuelle : « Quand il était question de concepts, il ne me traitait jamais comme un enfant. » En 2006, Julian lui a proposé de faire partie de ­WikiLeaks, ce que Daniel a refusé : « Je ne pensais pas que ça marcherait. » Un an plus tard, Julian quitte l’Australie, et son fils assure qu’ils n’ont eu aucun contact depuis, « en grande partie pour me protéger ».

Loin de son pays natal, Julian Assange est devenu un citoyen du monde et de nulle part. Il semblait pourtant à la recherche d’un point de chute. L’été dernier, il avait ­demandé un permis de séjour en Suède : refusé. Le 1er novembre, il ­débarque à Genève. Celui qui sera bientôt l’homme le plus recherché du monde s’offre le luxe d’un séjour d’une semaine, avec une conférence de presse, à l’invitation d’une ONG, et une apparition à l’Onu. Dans son ­sillage, deux ombres, des gardes du corps professionnels « loués » à une société privée ­genevoise. Assange veut prendre la température de la Confédération : il envisage d’y demander l’asile. Le 4 novembre, il accepte une invitation au JT du soir de la ­télé­vision suisse romande. Darius Rochebin, le présentateur, le trouve « aux aguets » et tente de le détendre en lui offrant une boîte de chocolats. ­Assange remercie poliment, mais y jette à peine un coup d’oeil : « Ce n’est pas le genre d’homme à s’attarder à table ou au lit », se dit le journaliste. Les deux hommes finissent par ­bavarder pendant deux heures et ­demie. Assange s’anime quand la discussion porte sur une de ses ­pas­sions, l’histoire. « De tous les peuples, dit-il, les Allemands sont peut-être ceux qui me comprennent le mieux. La divulgation des archives de la Stasi a été pour eux un bouleversement radical. » Il confie rêver d’une même transparence à l’échelle planétaire : une sorte de big bang de l’information, où la CIA, les services spéciaux russes et tous les autres ­livreraient, d’un coup, la ­totalité de leurs secrets. Au fil de la conversation, Assange évoque sa naissance à Magnetic Island, en Australie, un ­endroit perdu : « On se sentait isolé, hors de tout. Soudain, Internet a ­ouvert une fenêtre sur le monde. » Hasard : le rédacteur en chef du JT connaît ce confetti posé près de la Grande Barrière. Il y a même voyagé. Assange marque un temps d’arrêt. Son visage s’éclaire, il semble ému. Même le champion du cyberespace a des racines. Enquête Arnaud BéDAT

Source:

http://www.parismatch.com/Actu-Match/Monde/Actu/Julian-Assange-l-homme-a-abattre-wikileaks-229903/